Le racisme ordinaire au sein de la communauté universitaire

Il y a quelques semaines, une publication sur Spotted : Université Laval a relevé un enjeu présent dans la communauté universitaire : le défi des travaux de groupe chez les minorités culturelles. Brièvement, l’étudiant(e) a soulevé les difficultés éprouvées quand vient le temps de se trouver un groupe de travail dans les cours à distance. La personne a notamment mentionné avoir subi du racisme ordinaire par rapport à son nom, ce qui n’est pas une réalité vécue dans les cours présentiels, puisqu’elle a un accent québécois et qu’elle est « white-passing ». La publication se conclut par une interrogation qui laisse place à un nouveau sujet de discussion : qu’en est-il pour les minorités visibles sur le campus ? (https://www.facebook.com/Spotted.UL/posts/1045623982245564)

Qu’est-ce que le « casual racism » ?

Il n’y a pas de traduction fixe pour cette expression, mais il est possible de la traduire par le racisme ordinaire. Cet embranchement du racisme systémique se caractérise par des comportements et des attitudes basés sur des préjugés et des stéréotypes négatifs associés à un groupe ethnique/culturel/religieux, etc. Dans le cas souligné ici, le racisme ordinaire peut se manifester par l’exclusion d’une personne dans un contexte social donné, sur la base de sa « race », sa religion, son nom, son accent et sa nationalité. Les répercussions du racisme ordinaire envoient un message aux gens qui en sont victimes qu’elles ne sont pas les bienvenues et renforcent les barrières sociales entre les membres de la communauté universitaire.

En survolant les divers commentaires de la publication, il est possible de constater qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais bien d’une réalité touchant une multitude d’étudiants d’origines diverses. Certains étudiants ont mentionné que l’approche vers les étudiants blancs québécois était difficile et qu’on leur fermait rapidement la porte au nez. Puisque cette réalité est partagée et qu’elle engendre une certaine solidarité entre les étudiants étrangers et les étudiants issus de minorités visibles, l’instinct de survie et le devoir de réussir le cours font en sorte que ces derniers se regroupent entre eux. Ce mécanisme de survie devient un automatisme même rendu dans les cours présentiels.

Pour souligner le fait que le racisme ordinaire est causé par les stéréotypes, il est possible de remarquer que cette expérience va dépendre de l’appartenance culturelle de la personne. Un étudiant d’origine asiatique aurait précisé que cette expérience de racisme ordinaire ne s’applique pas à lui et que cela le poussait à croire que cette réalité s’appliquait qu’à une certaine catégorie d’étudiants étrangers. Cela peut s’expliquer par le fait que les personnes asiatiques sont associées au concept de « model minority » ce qui fait qu’elles vont vivre des expériences plutôt distinctes des autres personnes racisées. Il est à noter cependant que ce stéréotype peut tout de même engendrer des répercussions négatives. Par exemple, il peut être difficile pour elles d’intégrer des milieux non conventionnels à leur stéréotype.

Répliques aux étudiants blancs québécois

Les étudiants québécois blancs auraient plus tendance à se mettre avec des étudiants qui les « ressemblent » pour faciliter le travail. D’après certains utilisateurs de Facebook, travailler avec des étudiants étrangers (et/ou issus de minorités visibles) demanderait plus de travail et d’effort en raison « d’une certaine » barrière linguistique, de leur motivation et de leur éthique de travail. Le problème avec cet argument est que l’on oublie qu’il y a des étudiants racisés, québécois ou canadiens, étant passés par le même système d’éducation que les Québécois, parlant le français « comme les Québécois », qui ont tout de même de la difficulté à se trouver un groupe de travail. Serait-ce vraiment un problème de communication ? De plus, l’éthique de travail et la motivation ne sont pas déterminées par l’appartenance à un groupe culturel. Il ne s’agirait donc pas d’un problème de communication ou d’éthique de travail, mais bel et bien de la perception que les étudiants québécois ont de l’Autre, qui se traduit par une aversion envers ce qui n’est pas conforme à la norme, soit être blanc, québécois.

À plusieurs reprises, des étudiants québécois blancs auraient suggéré des solutions aux étudiants étrangers/minorités visibles qui vivent fréquemment du racisme ordinaire.
« Faites un effort pour rencontrer des gens dans vos programmes » ;
« Allez dans les évènements organisés par vos associations » ;
« Allez aux initiations »
« Faites un effort pour contacter ou rencontrer les gens, car ce n’est pas eux qui le feront pour vous ».

Ces solutions renferment une autre problématique puisqu’elle présente une réalité discriminatoire. Elles banalisent l’enjeu de ladite situation. Plusieurs ont « fait l’effort d’aller aux évènements organisés par leurs associations » et plusieurs ont « fait l’effort de rencontrer des gens de leur programme ». Force est de constater que les efforts pour pallier à ce problème ne sont pas fournis par toutes les parties concernées. Penser que seuls les étudiants étrangers et les étudiants faisant partie de minorité visible doivent être ceux qui doivent faire l’effort d’aller vers les autres est problématique lorsque les « blancs québécois » ne sont pas ouverts à travailler avec des gens qui « ne leur ressemblent pas ». Les personnes vivant du racisme ordinaire doivent non seulement faire face à de la discrimination, mais c’est également sur eux que reposent les solutions et les changements à effectuer pour y remédier.

Tout compte fait, le racisme ordinaire est une réalité à laquelle font face plusieurs étudiants racisés. L’enjeu relié aux travaux de groupe n’est qu’une goutte d’eau dans un vaste océan. Il illustre néanmoins un manque d’ouverture de par l’exclusion des étudiants racisés lors de formation des groupes pour les travaux en équipe et du fait que l’étudiant vivant cette exclusion est souvent laissé à lui-même pour trouver une solution.

 

 

Cette article fait partie de notre manifeste d’étudiant-e-s noir-e-s dans la communauté UL. Un article sera publié chaque semaine du mois de l’Histoire des Noir-e-s sur notre blog (RENADUL) sous la bannière du hashtag #OnParleFort (#WeSpeakLoud). Nous invitons également, à travers ce hashtag, les communautés étudiantes au Québec et ailleurs, à réclamer leur voix, leur narration ainsi que leur récit.

 

L’équipe RENADUL.

 

 

Lexique

* Le mot « racisé. e » désigne toute personne humaine, qui dans un milieu social où persiste le concept de « race sociale », se trouve essentialisée selon ladite race et subi des oppressions, des discriminations et des préjugés basés sur cette race construite par les dominant-e-s.

 

Références :

¹ :  Spotted Université Laval, 2018, https://www.facebook.com/Spotted.UL/posts/1045623982245564

² :  EISENKRAFT Harriet, 2010, Le racisme à l’universitéhttps://www.affairesuniversitaires.ca/articles-de-fond/article/racism-a-luniversite/

³ : Racism. It Stops with Me, Casual racismhttps://itstopswithme.humanrights.gov.au/what-can-you-do/speak/casual-racism

#PasVotreTrophéeDeLaDiversité, une lettre ouverte à Impact Campus et l’ensemble de la communauté UL

En tant que personnes racisées évoluant dans un milieu universitaire qui nous invisibilise déjà assez, nous écrivons cette lettre ouverte afin de dénoncer des agissements ancrés dans l’UL, de sa communauté à ses structures institutionnelles.

Dans cette lettre, nous ciblons tout d’abord Impact Campus, un journal étudiant de l’Université Laval.

Ce mardi est sorti un article d’Impact Campus sur le documentaire Ouvrir La Voix, un documentaire écrit et réalisé par Amandine Gay, afroféministe d’origine française.

La couverture de cet article a été confiée à une étudiante blanche d’origine française. Dans le contexte dans lequel ce documentaire raconte les expériences de femmes noires françaises et belges, nous pouvons nous demander pourquoi le Journal n’a pas remis en question le biais d’une étudiante blanche pour couvrir la projection d’un documentaire dont les protagonistes dénoncent, entre autres, les privilèges blancs, la négation des femmes noires et le racisme de la société française.

Il n’est pas étonnant de constater le caractère surperficiel de l’article, présentant une vision sommaire et simpliste d’une réalité beaucoup plus complexe et profonde. Ce manque de profondeur n’est pas surprenant, étant donné l’absence des voix plurielles des concernées.

 

« C’est quoi ta distance? »

Pourquoi parler de biais? Il est souvent considéré que les personnes racisées détiennent une passion qui les empêchent de parler de leur propre expérience, manquant de l’objectivité jugée nécessaire par les dominant-e-s pour en parler. Par contre, celleux-ci posséderont toujours cette objectivité et cette bienveillance digne d’un paternalisme suffisant pour expliquer aux personnes racisées leurs propres oppressions. À cette dynamique, Impact Campus ainsi que les structures universitaires et étudiantes n’y font pas abstraction.

Impact Campus a eu l’occasion d’offrir la couverture de cette projection à une étudiante noire et afroféministe, mais l’argument du biais a été utilisé par l’Impact Campus pour mettre de côté cette candidature. Impact Campus est ainsi responsable d’une violence structurelle reposant sur la présupposition que les personnes racisées sont « trop biaisées » pour parler d’elles-mêmes et de leurs expériences au sein du milieu universitaire et de la ville de Québec. Cette subjectivité qui affecterait les personnes racisées à s’auto-déterminer est décrite dans l’extrait suivant d’une scène coupée d’Ouvrir La Voix :

 

Vitrine de la « diversité »

Par contre, ce Journal, dirigé exclusivement par des étudiant-e-s blanc-he-s, n’hésitera pas à utiliser (exploiter) les étudiant-e-s racisé-e-s* comme des figures de proue pour afficher un semblant d’ouverture à la diversité à condition que ces étudiant-e-s restent bien dans les cadres prédéfinis par le Journal.

Exploiter l’implication d’un-e étudiant-e en milieu universitaire et la/le considérer comme « caution noire » est une manière de reproduire les schémas de domination dénoncés dans le documentaire afroféministe Ouvrir La Voix. Par « caution noire », nous entendons par cela une personne noire exploitée par les dominant-e-s et utilisée comme vitrine de la « diversité » pour se déresponsabiliser d’une quelconque participation au racisme systémique qui perdure en milieu universitaire. Cette caution est consciemment choisie par elleux car elle correspond aux critères de docilité ne mettant pas en danger les privilèges blancs. Dans le cas où cette personne à laquelle on fait appel pour se cautionner moralement ne répond plus à ces critères de docilité, elle se retrouve totalement marginalisée. Différentes méthodes sont ainsi mises en œuvre pour la mettre au second plan afin qu’elle ne brise pas le « politiquement correct » ambiant.

 

Les pommes ne tombent pas loin du pommier.

Bien qu’Impact Campus soit responsable de ces agissements, nous considérons que cela reflète un plus gros problème d’inclusion raciale à travers les campus universitaires canadiens comme le pense Annette Henry¹, professeur de la faculté d’éducation de l’Université de Colombie-Britannique.  

Selon elle, « les étudiant-e-s racisé-e-s ont rarement l’opportunité de nommer leurs expériences ou d’apprendre dans un climat de dialogue, d’échange et de bien-être. Iels sont, par essence, invisibilisé-e-s et marginalisé-e-s. Si une perspective sur l’identité noire [et par extension, l’identité d’autres personnes racisé-e-s] se voit être présentée, elle tend souvent à être monolithique et découlant d’une vision simpliste. »

L’Université Laval ne fait pas abstraction de la dynamique présentée ci-dessus. En effet, l’essentiel des activités censées présenter les réalités que les étudiant-e-s racisé-e-s peuvent rencontrer dans le milieu universitaire, ne dresse qu’un portrait simpliste des réelles dynamiques d’oppressions, et de violences systémiques reproduites autant par les structures institutionnelles que dans les relations entre étudiant-e-s². Par ailleurs, les solutions proposées lors de ces panels/activités se concentrent essentiellement sur une vision monolithique qui, dans les luttes anti-racistes et anti-xénophobies, est une stratégie utopiste et non productive³. De plus, celle-ci ne s’attaque pas à la source du racisme systémique, mais conforte plutôt une majorité dominante dans un « politiquement correct ».

Cet article vise à fournir des outils conceptuels afin de bâtir un environnement étudiant inclusif et sécuritaire pour tou-te-s, et principalement pour les étudiant-e-s et travailleur/euses vivant des violences à caractères discriminatoires au sein de l’UL.

Il fait également partie de notre manifeste d’étudiant-e-s noir-e-s dans la communauté UL. Un article sera publié chaque semaine du mois de l’Histoire des Noir-e-s sur notre blog (RENADUL) sous la bannière du hashtag #OnParleFort (#WeSpeakLoud). Nous invitons également, à travers ce hashtag, les communautés étudiantes au Québec et ailleurs, à réclamer leur voix, leur narration ainsi que leur récit.

 

L’équipe RENADUL.

 

 

Lexique

* Le mot « racisé. e » désigne toute personne humaine, qui dans un milieu social où persiste le concept de « race sociale », se trouve essentialisée selon ladite race et subi des oppressions, des discriminations et des préjugés basés sur cette race construite par les dominant-e-s.

 

Références

¹ : HENRI Annette, 2016, Canadian campuses suffer from a lack of racial inclusionhttps://www.universityaffairs.ca/opinion/in-my-opinion/canadian-campuses-suffer-from-a-lack-of-racial-inclusion/

² : Spotted Université Laval, 2018, https://www.facebook.com/Spotted.UL/posts/1045623982245564

³: POTVIN Maryse,  CARR Paul R., 2008, La « valeur ajoutée » de l’éducation antiraciste : conceptualisation et mise en œuvre au Québec et en Ontario,https://www.erudit.org/fr/revues/ef/2008-v36-n1-ef2292/018097ar/